Un chat dans la brume... [PV : Etoile de l'Ange]

J’entrouvris les yeux. Aucun rêve n’était venu troubler mon sommeil cette nuit et j’étais en pleine forme, enfin reposée. Le soleil était à peine levé, mais ses rayons perçaient déjà à travers le feuillage qui fermait ma tanière. Je me mis debout d’un bon gracieux, m’étira, puis commença ma toilette avec entrain. Ma fourrure était toujours ébouriffée quand je me réveillais, que c’était embêtant ! Je devais bouger dans mon sommeil pour emmêler mes poils comme ça... Un soupir m’échappa, puis je me mis au travail, lissant mes poils de la tête à la queue. Avec mes dents, j’entrepris de retirer les brins de mousse qui composaient habituellement ma litière, léchant mon beau pelage neigeux. Pour finir, j’aplatis le duvet de mes oreilles d’un précis mouvement de la patte. Une fois prête, je sortis de ma tanière, la tête haute, la queue en panache. Et oui, qu’est-ce que vous croyez ?! Quand on est chef, il faut donner la meilleure image possible de son Clan, surtout si on dirige celui d’Aphrodite. De mes beaux yeux bleus, j’entrepris de scruter le campement. Celui-ci était presque vide, ce qui ne m’étonna pas du tout, vu l’heure. L’hiver arrivait à grands pas, je comprenais donc que mes guerriers veuillent dormir plus longtemps. L’air était froid malgré le soleil qui brillait dans le ciel, une brise légère balayait le camp. Avec cette température, chasser devenait un peu plus compliqué que d’ordinaire, et les entrainements des novices étaient eux aussi ralentis. Tout le monde était relégué aux tâches de chasse pour compléter nos réserves en vue de l’hiver. Fidèle à son poste de lieutenante, Secret Enfoui, ma sœur, était assisse au pied du promontoire et surveillait le camp. La patrouille chargée de surveiller les frontières était déjà partie mais celle qui devait partir chasser était toujours là. Nectar Sucré, le guerrier qui devait la diriger écoutait les dernières recommandations de Secret Enfoui tandis que le seul apprenti du groupe finissait son petit-déjeuner. Tous les chats me saluèrent d’un mouvement de tête lorsqu’ils m’aperçurent et je leur répondis d’un sourire sincère. Je me dirigeai ensuite vers la sortie du campement, après avoir jeté un coup d’œil sur le tas de gibier. Il était plutôt bien rempli mais je décidais tout de même d’y apporter ma part avant de manger quoi que ce soit. Je n’avais pas faim de toute façon.

Une fois à l’extérieur, je me retrouvai plongée dans le Bois aux Esprits. Il y régnait la même paix et la même convivialité qu’au camp, et je me sentis tout de suite à l’aise. Mes foulées s’allongèrent, mon museau se leva, cherchant dans le vent une quelconque effluve de gibier. En position de chasseuse je devenais impressionnante, bien différente de la frêle chatte blanche à la fourrure resplendissante et au regard envoûtant. Mes pattes frôlaient à peine le sol ce qui me donnait une certaine sensation de liberté et de joie partagées. Je faisais corps avec la nature, j’étais une vraie chatte sauvage, fière de mes origines claniques. Soudain, une odeur de gibier me sortit de mes pensées, ma ramenant à l’instant présent. Je m’aplatis au sol et me mis à pister, avançant à pas feutrés. C’était un oiseau, un merle plus précisément, mon nez me le disait. Par contre, j’avais l’impression qu’il ne bougeait pas. Peut-être qu’il dormait… Impossible, les oiseaux ne dorment pas par terre, seulement dans les branches. Et puis, il y avait cette odeur un peu trouble, comme du sang caillé. Hum, ça sentait bien mauvais tout ça. Un mauvais pressentiment m’envahis, mais je poursuivis mon chemin en direction de l’étrange effluve, sans cacher ma présence cette fois-ci. Après quelques pas, j’aperçus enfin l’oiseau, et sa vision me glaça d’effrois. Le merle gisait au sol, égorgé, la tête presque détachée. Il baignait dans une mare de sang. A ses côtés, des petits os étaient étalés, sûrement ceux d’un rongeur. Un peu plus loin, je découvris la carcasse d’un rossignol à moitié dévoré. Au-dessus de ce paysage sanglant, de nombreuses mouches voletaient, attendant que je parte pour passer à table. Elles pouvaient toujours attendre, je n’avais pas l’intention de partir sans avoir élucidé ce mystère. La Saison des Neiges allait arriver, gâcher la nourriture relevait du suicide. Je me mis à inspecter les alentours, en quête d’un indice. Une forte odeur de sang planait mais cela ne suffit pas à dissimuler celle de l’auteur de ce saccage. Cette odeur je l’avais déjà sentit quelque part… Oui ! C’était ma guérisseuse, qui, en cherchant des plantes, avait découvert des traces d’urine dans le champ de fleurs. Inquiète, elle m’avait demandé de venir voir si je reconnaissais l’origine de l’odeur. La seule chose que j’avais réussi à déduire c’était que le mystérieux inconnu était un chat errant et qu’aucun des autre Clans ne pouvait en être à l’origine. Ça coordonnait… Par contre, quelques poils avaient été découverts, ils étaient de couleur crème. Aujourd’hui, ceux que je découvris, accrochés à l’écorce des arbres contre lesquels l’inconnu s’était frotté étaient noirs… Il y avait donc probablement plusieurs chats. Mais combien ? Plus que ces deux-là ? Je n’étais pas détective quand même ! Pourtant, il fallait tirer ça au clair. Ma décision fut prise en un instant. Avant de partir, je me mis à recouvrir de terre et de feuilles les restes de proies qui étaient bien sûr immangeables si l’on voulait rester en bonne santé.

Sans un regard en arrière, je repartis à vive allure. Mes recherches n’avaient duré que très peu de temps, mais le camp d’Artémis était bien loin. Vous l’aurez compris, j’avais décidé d’aller voir Etoile des Nuages. Le meneur du Clan chasseur était mon plus proche ami en dehors de mon Clan, même si ma sœur était contre cette relation. Je ne savais pas pourquoi, mais elle détestait Nuages profondément. Même si j’étais très complice avec ma sœur et que nous faisions tout pour être toujours d’accord, je pensais tout d’abord à mon Clan. Je m’entendais très bien avec la dominance du Clan d’Artémis (leur meneur, leur lieutenante Aile Brisée et leur guérisseur Jeu Céleste), et je savais pouvoir compté sur eux en toutes situations. Nous n’étions pas alliés mais les liaisons entre nos Clans ont toujours été cordiales et bienveillantes. Malheureusement, leur territoire était fort éloigné du notre et nous devions traverser la plaine des Jeux pour pouvoir nous rencontrer. Tient, j’arrivais d’ailleurs à cette dernière. Sans une hésitation, je quittai mes terres et pénétrai en lieu neutre, tour en gardant une allure effrénée. Je perçus la présence de gibier mais je n’avais pas le temps de m’arrêter. Soudain, je stoppai net, haletante. La frontière était là, devant moi, invisible mais bien marqué par l’odeur. Le nez au vent, mon regard bleu scrutant les alentours, j’essayai de dénicher une patrouille. Aucune. Elle devait être déjà passée. Sans un regard un arrière, je pénétrai en territoire ennemi. Sachant que je n’avais pas le droit d’être là, je me fis plus prudente et ralentis mon pas. Après quelques minutes de calme, je distinguai enfin le Chemin de la Brume. Je pris mon courage à deux pattes avant de m’en approcher. Ce brouillard épais menait droit au camp d’Artémis, mais encore fallait-il ne pas se perdre. C’est ce qu’il m’arriva. J’avais bien fait attention de rester à l’extérieur et de le suivre de loin, mais un coup de vent m’engloba et ma vision faibli. La brume me piquait légèrement les yeux, mais le pire était que je ne puisse plus me repérer. Les embruns étaient partout, et quelques secondes suffirent à me faire perdre mes repèrent. La panique m’envahis, je me mis à trembler. Certains envahisseurs ennemis n’avaient jamais réussi à s’extirper du chemin et ils y étaient morts. Peu rassurant. Tout à coup, j’entendis une branche craquer. Je me retournai avec violence sans rien voir. Du blanc partout, des nuages touchant le sol. Soudain des griffes s’accrochèrent à mes épaules. Je me mis à bouger en tous sens, mais rien n’y fis. Puis, comme si de rien n’était, mon attaquant me lâcha et recula d’un pas avant de s’écrier :

« Qu'est-ce que tu fais ici ? Tu as eu de la chance de ne pas être tombée sur un de mes guerriers ! Ton Clan a-t-il un problème ? »

Ah, il avait l’air de m’avoir reconnu, ce qui n’était pas mon cas. Pour moi, c’était juste une grande ombre. Sa voix m’était pourtant familière. Oui, c’était Etoile des Nuages, personne d’autre n’aurait pu dire "mes guerriers". Avant de lui répondre, j’entrepris d’abord de m’assoir et de calmer ma respiration. Je pris en même temps conscience de la chance que j’avais eu que premièrement quelqu’un me trouve, et deuxièmement que ce soit lui, surtout que c’était à lui que je voulais parler. Ah, et troisièmement qu’il ne m’ait pas trop abimé les épaules en me griffant car je ne voulais pas avoir du sang sur ma belle fourrure. D’un coup de langue, j’aplatis mes poils hérissés. Puis, je lui répondis en me levant :

« Bonjour Etoile des Nuages. Je m’excuse d’avoir pénétré sur tes terres, mais j’avais besoin de te parler. Avant cela, pourrions-nous quitter le Chemin de la Brume ? J’aimerais au moins pouvoir distinguer mon interlocuteur. »

Je lui fis un sourire complice. Cet endroit me mettait mal à l’aise, j’étais en position d’infériorité et je n’aurais aucune chance de me défendre s’il m’attaquait. D’accord, c’était peu probable, mais au moins je devais pouvoir les voir. Peut-être qu’en lui dévoilant ce que j’avais à lui dire, des émotions passeraient dans son regard. Peut-être que je pourrais lire dans ses yeux qu’il me cachait quelque chose, au qu’au contraire, il était sincère. Sans lui donner le choix de rester ou non, je lui tendis ma queue pour qu’il me guide à l’extérieur de cet enfer.